poussières d'étoiles

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De la Terre à la Lune (1865) et Autour de la Lune (1870) : les débuts de la conquête spatiale.

De la Terre à la Lune (1865)

et Autour de la Lune (1870) :

les débuts de la conquête spatiale.

 

 

Le voyage à la Lune est un thème récurrent de la littérature mondiale. Jules Verne y a apporté une contribution majeure avec ses deux premiers grands romans astronomiques De la Terre à la Lune (1865) et Autour de la Lune (1870). En y introduisant pour la première fois un réalisme scientifique saisissant, Jules Verne a révolutionné ce genre littéraire.

L'intuition géniale de ces deux romans, préfigurant, parfois dans ses moindres détails, la conquête spatiale de la fin du XXe siècle d'une part, leurs insuffisances et leurs erreurs scientifiques d'autre part, ont été souvent évoquées.

 

Ce ne sera pas discuté ici.

 

Voir par exemple Martin (1969), Bacchus (1992), ainsi que les notes envoyées par Albert Badoureau à Jules Verne, récemment éditées (Badoureau, 2005).

 

Les antécédents

Parmi beaucoup d'autres :

  • J. Kepler (1634) Somnium (œuvre posthume, en latin) (Le Songe ou Astronomie lunaire).

  • F. Godwin (1638) L'Homme dans la Lune (ou Voyage fait au monde de la Lune par Dominique Gonzalès).

  • Du 25 au 31 août 1835 sont parus dans le New York Sun une série d'articles décrivant les observations de toute une civilisation sur la Lune, prétendûment faites par l'illustre astronome John Herschel. Bien des lecteurs se sont laissés prendre à ce canular.

     

Jules Verne cite tous ces ouvrages à l'exception du Songe de Kepler. Une abondante bibliographie sur ce sujet a été établie par Camille Flammarion dans La Pluralité des mondes habités (1862, 1864) et Les Mondes imaginaires et les Mondes réels (1865).

 

Des collaborateurs de choc

Pour les calculs nécessaires à la véracité des deux romans lunaires, Jules Verne bénéficia de l'aide d'Henri Garcet et de Joseph Bertrand. « Il faut que je fasse lire cela par mon cousin, le mathématicien, le collaborateur de M. Bertrand. » (Lettre de Jules Verne à Pierre-Jules Hetzel du 8 juin 1869.)


À gauche : Henri Garcet (1815–1871) ;

à droite : Joseph Bertrand (1822–1900).

Henri Garcet, cousin de Jules Verne, est né à Provins le 29 mars 1815, mort à Paris le 2 février 1871 (suite aux privations du siège). Il entra à l'École normale supérieure en 1835 et fut reçu premier à l'agrégation de sciences en 1838. Il enseigna les mathématiques d'abord à Reims, puis à partir de 1847 à Paris au lycée Henri IV (qui s'appelait alors lycée Napoléon, puis lycée Corneille). Il a publié en 1854 les Leçons nouvelles de Cosmographie, manuel s'adressant à la fois aux bacheliers ès sciences et, dans leurs compléments, aux candidats à la licence ès sciences mathématiques. Il publia également d'autres livres d'enseignement, certains en collaboration avec son collègue Joseph Bertrand.

Joseph Bertrand fut également enseignant au lycée Napoléon en 1852–1856. Enfant précoce, il devint un mathématicien célèbre, professeur à l'École polytechnique et au Collège de France, membre de l'Académie des sciences en 1856, de l'Académie française en 1884. Jules Verne possédait un exemplaire de son livre Les Fondateurs de l'astronomie moderne(1865).

 

Un peu de mécanique céleste

Les lecteurs du Journal des Débats du 7 novembre 1869 n'ont pas dû en croire leurs yeux... En première page, qui donnait en feuilleton Autour de la Lune, s'étalait l'équation des forces vives. Une formule mathématique dans un grand quotidien, qui sera maintenue dans l'édition définitive du roman (Chap. IV – Un peu d'algèbre) ! C'était une première dans la littérature (qui ne s'est d'ailleurs guère reproduite par la suite). Jules Verne n'explique pas cette formule qui donne la migraine à Michel Ardan. On peut imaginer qu'il l'a prise, sans trop la comprendre, chez son cousin Garcet. Il l'a mise là pour faire sérieux, pour impressionner le lecteur !

 

C'est que le problème est délicat. C'est le fameux problème des trois corps. Il a été étudié par Alexis Clairaut (1713–1775) pour évaluer avec précision le retour de la comète de Halley en 1758. Ce problème n'admet dans sa généralité pas de solution exacte (c'est à dire sous la forme d'une formule explicite) et Clairaut concluait son mémoire à l'Académie des sciences par « intègre maintenant qui pourra. » L'intégration doit se faire par un calcul numérique, ce qui est long et fastidieux lorsque l'on ne dispose pas d'un ordinateur.

Le problème dans son aspect moderne a été magistralement exposé dans une conférence d'Étienne Ghys lors des célébrations du centenaire d'Henri Poincaré (2012).

 

L'hymne du boulet et l'histoire du canon

Isaac Newton (1643–1727) avait longuement disserté sur le canon, son boulet, et l'attraction terrestre dans les Principia, son ouvrage fondateur de la gravitation universelle (voir nos notes sur Les Cinq Cents Millions de la Bégum).

 

Jules Verne ne le savait pas lorsqu'il a commencé De la Terre à la Lune : «Comment M. Bertrand, à qui nous avons raconté notre histoire, ne nous a-t-il pas dit que Newton avait eu l'idée d'envoyer un projectile à la Lune ?» (Lettre de Jules Verne à Pierre-Jules Hetzel, octobre 1864.)

 

L'idée du canon envoyant son boulet hors de l'attraction terrestre sera reprise dans Hector Servadac (1877), Les Cinq cents millions de la Bégum (1879), et bien sûr Sans dessus dessous (1889).

 

Le télescope

Dans De la Terre à la Lune et Autour de la Lune, l’Observatoire de Cambridge utilise un nouveau télescope pour observer le projectile. Ce télescope, géant, est construit en altitude, sur le sommet de Long’s Peak dans les Rocheuses, situé par l’auteur dans le territoire du Missouri. (Cela peut sembler curieux, mais il s'agit du territoire du Missouri qui couvrait dans la première moitié du XIXe siècle tout le Middle West, bien au delà de l'étendue actuelle de l'état du Missouri.) Un Longs Peak existe bien : à 4348 m d’altitude, c’est l’un des plus hauts sommets des Rocheuses, près de Boulder (Colorado).

 

Le télescope a été généreusement financé par le Gun-Club et édifié en quelques mois seulement. Il est conçu sur le modèle du télescope, bien réel et déjà géant pour l’époque, de lord Rosse (achevé en 1845 à Parsonstown en Irlande, récemment restauré), lui même réplique agrandie du grand télescope d’Herschel. Les illustrations montrent effectivement les images bien caractéristiques de ces télescopes, installés au sommet d’une montagne (De la Terre à la Lune, Chap. 24 ;Autour de la Lune, Chap. 10).

Le télescope de Long’s Peak à gauche (Autour de la Lune, Chap. 10) et celui de lord Rosse à droite.


Le télescope de lord Rosse, surnommé le Léviathan, a un miroir de 6 pieds pesant 3 tonnes et une longueur (focale) de 56 pieds (rapport d’ouverture de f/9,3) . Celui de Long’s Peak aurait un miroir de 16 pieds (4,88 m) et une longueur de 280 pieds (donc une ouverture de f/17.5 seulement).

Toujours à l’affût des nouveautés, Jules Verne a imaginé pour « son » télescope un miroir semblable à ceux que Léon Foucault (1819-1868) mettait au point à l’époque à l’Observatoire de Paris : en verre argenté, alors que l’on employait jusqu’alors du spéculum (un bronze), au pouvoir réflecteur moindre et plus difficile à entretenir. Le miroir de Long’s Peak pèserait 15 tonnes – à comparer avec les 11 tonnes du miroir du télescope de 3,60 m de l’ESO.

Cependant, Jules Verne n’a pas réalisé que les miroirs nouvelle-technologie de Foucault, à taille parabolique alors que jusqu’alors les miroirs étaient sphériques, permettaient sans distorsion d’image d’avoir un rapport d’ouverture bien plus grand : jusqu’à f/3 ou même f/2. Il aurait pu alors imaginer un télescope beaucoup plus compact que celui de Long’s Peak qui atteignait une longueur pharaonique de 85 m.

L’instrument devait avoir un grossissement permettant de discerner le projectile à la distance de la Lune. Pour Jules Verne, cela était directement lié au diamètre de l’objectif et à sa distance focale. Ceci est vrai dans la mesure où on est limité par la tache de diffraction de l’instrument, de taille inversement proportionnelle au diamètre de l’objectif. Mais le grossissement utile est vite limité par la turbulence de l’atmosphère. Ce qui rend illusoire l’emploi de télescopes de plus d’un mètre de diamètre lorsque seule la finesse d’image importe – de gros télescopes sont bien sûr toujours nécessaires pour observer des astres de faible luminosité. De nos jours, sans recourir à des télescopes spatiaux, les techniques d’optique adaptative, nouvellement développées, permettent de s’affranchir en grande partie de la turbulence atmosphérique et de rendre aux gros télescopes leur pouvoir séparateur potentiel.

Jules Verne a judicieusement placé « son » télescope sur un site d’altitude pour que les couches atmosphériques à traverser soient réduite : cela réduit également d’autant l’effet de la turbulence, mais ne peut la supprimer totalement. Remarquons enfin que la conception du télescope (modèle Herschel – lord Rosse) ne permet les observations qu’au voisinage du méridien. Ce peut être un inconvénient fâcheux pour un instrument de surveillance astronautique.

Faisant abstraction de la turbulence atmosphérique, un miroir de 5 m de diamètre a une tache de diffraction de 0,02 secondes d’arc (à 0,5 µm de longueur d'onde), ce qui correspond à un grossissement utile de 3000 (pour un pouvoir séparateur de l’œil de 1 minute d’arc). A la distance de la Lune, cela permet seulement de distinguer des objets de 40 m.

La magnitude (brillance) d’un corps de 11 m à la distance de la Lune est de 12,5 à 14 (à l’opposition, pour un albédo de 1 à 0,25). C’est facilement détectable avec un instrument modeste (à condition que la forte luminosité de la Lune n’aveugle pas l’observateur). Mais les astronomes de Jules Verne n’utilisaient pas la photographie, a fortiori la technique CCD. Plusieurs astéroïdes de cette taille ont d’ailleurs été observés à notre époque, certains s’aventurant à l’intérieur de l’orbite lunaire.

L'Observatoire du Pic du Midi (à gauche, photo de 1937) et l'Observatoire du Mont Blanc (à droite).
Mais la grande novation, c'est aussi d'avoir placé le télescope dans un observatoire d'altitude. Du vivant de Jules Verne ont été érigés en France l'Observatoire (météorologique) du Puy de Dôme (inauguré et 1867), l'Observatoire du Pic du Midi (qui s'est développé à partir des années 1870), l'Observatoire du Mont Blanc (qui eut une existence éphémère en 1893–1909 avant d'être englouti dans les glaces). De nos jours, les observations astronomiques de pointe ne se font plus que dans des observatoires de montagne. Les observatoires de ville ou de plaine se sont reconvertis en centres administratifs ou en bases techniques.

L'affaire du bolide

Dans Autour de la Lune, les voyageurs croisent un premier bolide. Ils l’identifient à un second satellite de la Terre, fruit d’une hypothèse de l’astronome Petit. Il aurait une période de révolution de 3 h 20 min et orbiterait à 8140 km de la surface terrestre (ce qui serait en contradiction avec la troisième loi de Kepler !).

« C’est en tenant compte de certaines perturbations qu’un astronome français, M. Petit, a su déterminer l’existence de ce second satellite et en déterminer les éléments. D’après ses observations, ce bolide accomplirait sa révolution autour de la Terre en trois heures vingt minutes exactement, ce qui impliquerait une vitesse prodigieuse. [...] Au point où nous l'avons rencontré, nous étions exactement à huit mille cent quarante kilomètres de la surface du globe terrestre. »

(Chap. 2 – La première demi-heure.)

 

Frédéric Petit (1810-1865), ancien élève d’Arago, fondateur de l’Observatoire de Toulouse à Jolimont, en fut le directeur de 1838 à 1865. Une biographie de Frédéric Petit a été établie par Lamy (2004).

«Plusieurs astronomes ont pensé que les bolides pouvaient être considérés comme des satellites de notre planète, qu’ils se mouvaient autour de la Terre avec une énorme vitesse et pouvaient être aperçus à plusieurs reprises. Dans ces dernières années, M. Petit, directeur de l’Observatoire de Toulouse, a cherché avec persévérance à obtenir les orbites parcourues dans cette hypothèse par les principaux bolides sur lesquels il avait pu réunir des détails d’une certaine précision.» (Arago, Astronomie Populaire, t. IV, 284)

 

 

Petit est l’auteur de nombreuses notes sur les bolides dans les Comptes-rendus Hebdomadaires de l’Académie des Sciences (CRAS). Il s’est évertué à reconstituer l’orbite de ces corps en compilant les témoignages de leurs observations. Il a émit l’hypothèse que plusieurs de ces bolides, dont il a pu (ou cru) déterminer l’orbite, pouvaient être des satellites terrestres :

  • celui du 5 janvier 1837, avec une orbite cependant peu plausible (1851, CRAS,32, 488) ;

  • celui du 21 mars 1846, avec une période de 2h 45min (1846, CRAS,23, 704) ;

  • celui du 23 juillet 1846, avec une période de 3h 24min (1847, CRAS,25, 259).

Mais Le Verrier ne croyait pas du tout aux hypothèses de Petit, en raison de l’imprécision des orbites. Dans une communication à l’Académie des sciences (1851, CRAS,32, 561), il lui a sérieusement remonté les bretelles.

La période du bolide de Jules Verne est proche de celui du 23 juillet 1846, mais sa distance à la Terre ne correspond pas. Il est probable que Jules Verne ne lisait pas directement les officiels Comptes-rendus hebdomadaires de l’Académie des sciences, mais plutôt ce qui en apparaissait dans les journaux et les revues de vulgarisation, et qu’il en a repris une version incomplète, ou incorrecte, ou déformée.

Les valeurs publiées dans le roman – une période de 3h 20min et une distance à la surface terrestre de 8140 km – ne satisfont pas à la troisième loi de Kepler. (Dans les éditions en anglais, ces valeurs sont changées, mais restent incohérentes.)

Dans La Lune (1866) d’Amédée Guillemin, un ouvrage de vulgarisation que Jules Verne put lire, existe un chapitre «La Lune est-elle le seul satellite de la Terre ?» où l’on peut lire :

«Un astronome français, M. Petit, de l’Observatoire de Toulouse, a calculé l’orbite d’un bolide sur lequel il avait pu recueillir un nombre suffisant de données. Ce singulier satellite de la Terre, ce compagnon de la Lune, ferait autour de nous sa révolution en un temps qui ne dépasserait pas 3 heures 20 minutes, et sa distance au centre de notre globe serait en moyenne de 14500 kilomètres. Il résulte de là que cette distance comptée à partir de la surface terrestre ne dépasserait pas 8140 kilomètres.» (p. 192-193)

Ce sont exactement les valeurs reprises par Jules Verne. Mais Guillemin les donne comme des valeurs supérieures, ce qui ne les met pas en contradiction notoire avec la troisième loi de Kepler.

L’étude des bolides a considérablement progressé à notre époque avec l’utilisation de caméras automatiques et de radars. La détermination d’orbites fiables est maintenant possible, ce qui a permis à plusieurs occasions de circonscrire la région d’impact et de retrouver la (ou les) météorite(s) résultant du bolide. Jamais il n’a été trouvé de bolide satellite de la Terre, ni de bolide de provenance extérieure au Système solaire (comme l’avait aussi avancé F. Petit).

 

Cependant, la capture par le système Terre-Lune d'un petit astéroïde est possible. Récemment, ce fut temporairement le cas pour l'objet 2006 RH120, comme le résume l'astronome américain Don Yeomans :

«En juin 2006, la Terre captura un petit astéroïde de 5 m de diamètre appelé 2996 RH120, à partir d'une orbite héliocentrique qui passait juste à l'extérieur de celle de la Terre. L'astéroïde fit alors une boucle autour de notre planète sur une orbite quasi polaire, qui l'amena au delà de la distance de la Lune à son point le plus éloigné. Seize mois plus tard, 2006 RH120 s'échappa en retrouvant une orbite héliocentrique. L'astéroïde ne fut satellite de la Terre qu'un temps relativement court.

Cependant, si un troisième corps massif, comme la Lune, donnait une pichenette gravitionnelle à un petit objet, ou si la collision d'un astéroïde avec la Lune éjectait un objet de la surface de la Lune, cet objet pourrait devenir un satellite permanent de la Terre.»
(D. Yeomans, Is another Moon possible?, Astronomy, avril 2010, p. 48 – traduction.)

Le passage près du bolide joue un rôle capital dans le roman en modifiant l'orbite du projectile : le boulet ne percutera pas la Lune (avec une perspective de retour incertaine), mais la contournera. C'est la première mise en œuvre du rebondissement gravitationnel, une méthode souvent utilisée pour changer économiquement la trajectoire des sondes spatiales. Ainsi, la sondeRosetta, lancée par l'Agence spatiale européenne en mars 2004 pour atteindre la comète 87P/Churyumov-Gerasimenko en 2015, utilise plusieurs rebondissements gravitationnels (trois sur la Terre, un sur Mars) pour parvenir à sa comète.

 

Le deuxième bolide

Au chapitre 15 d'Autour de la Lune, les passagers du boulet croisent un nouveau bolide qui, cette fois, leur explose sous le nez.

« L'air ambiant n'est pas nécessaire à leur déflagration. .../... Tels ces bolides, l'un du 27 octobre 1844, apparu à une hauteur de cent vingt-huit lieues, l'autre du 18 août 1841, disparu à une hauteur de cent quatre-vingt-deux lieues. »

Il s'agit encore d'études de F. Petit, mentionnées par Arago dans son Astronomie Populaire (4, 269–270).

« 1841, 18 août. Bolide vu à Paris et à Reims, ayant, d'après les calculs de M. Petit, un diamètre réel de 3,900 mètres, et distant de la Terre, au moment de l'extinction, de 182 lieues. (CRAS,19.) »

« 1844, 27 octobre. Bolide à Parcé (Sarthe), et au Blanc (Indre), ayant, selon les calculs de M. Petit, une vitesse de 18 lieues par seconde, et distant de la Terre de 128 lieues au moment de son apparition, et de 3 lieues au moment de son extinction. (CRAS,19 et 24.) »

Arago note également :

« Les hauteurs considérables auxquelles paraissent et disparaissent quelques-uns de ces météores sont un sujet d'étonnement lorsqu'on cherche à se rendre compte de leur inflammation subite. »

Nous sommes en effet maintenant assurés que les bolides ne s'enflamment (n'explosent) pas spontanément, mais deviennent lumineux suite à leur échauffement par pénétration à grande vitesse dans l'atmophère. Les hautes altitudes évaluées par Petit étaient faussées par l'incertitude des mesures.

 

La température de l'espace

Pouillet contre Fourier (Autour de la Lune, Chap. XIV) : voir la discussion à ce propos dans nos notes sur Hector Servadac.

 

Une atmosphère autour de la Lune ?

Henri Garcet dans ses Leçons nouvelles de Cosmographie tout comme Amédée Guillemin dans La Lune sont catégoriques. Sur la Lune, il n'y a ni atmosphère, ni eau, ni vie. Mais en plein milieu de XIXe siècle, c'était encore sujet à débats. Jules Verne s'en fait l'écho.

 

Michel Ardan, voulant convaincre son auditoire (et le capitaine Nicholl) de la réalité d'une atmosphère lunaire, relate :

« Un habile astronome français, M. Laussedat, en observant l'éclipse du 18 juillet 1860, constata que les cornes du croissant solaire était arrondies et tronquées. Or, ce phénomène n'a pu être produit que par une déviation des rayons du soleil à travers l'atmosphère de la Lune, et il n'y a pas d'autre explication possible. » (De la Terre à la Lune, Chap. XX.) Aimé Laussedat.

Qui était ce Laussedat, et d'où provient cette information ?

 

 

Le capitaine Aimé Laussedat (1819–1907), chargé de cours à l'École polytechnique, a mené l'expédition montée par Hervé Faye (1814–1902) pour l'observation de l'éclipse de 1860 en Algérie (voir à ce propos nos notes sur Le Pays des fourrures, dont le thème est justement cette éclipse). Son rapport mentionne :

 

« Tous les spectateurs ont vu, à l'oeil nu comme dans les lunettes, qu'avant la disparition du Soleil, le croissant qui en restait présentait dans sa forme un défaut frappant de symétrie : l'une des extrémités était effilée, tandis que l'autre était tronquée et arrondie. Une épreuve photographique prise à ce moment rend cette apparence avec la plus entière fidélité. » [A. Laussedat, 1860. Éclipse du 18 juillet : Observations faites à Batna (Algérie). Observateurs : MM. Laussedat, Salicis, Mannheim, Bour et Girard. Exposé des résultats obtenus (Extrait d'un mémoire de M. Laussedat). CRAS,51, 441–445.]

Mais c'est Hervé Faye, le commanditaire de l'expédition, qui en propose l'interprétation :

 

« [Le mémoire de Laussedat mentionne] une déformation particulière qui a été remarquée à un certain instant dans le mince croissant solaire, et qui s'est reproduite dans une des curieuses épreuves photographiques de M. Girard, que M. Laussedat vient de placer sous nos yeux. Cette déformation ne saurait guère provenir que d'une réfraction anormale, soit dans l'atmosphère terrestre, soit dans celle de la Lune, et comme cette dernière idée paraît s'être spontanément présentée à l'esprit des observateurs eux-mêmes, je vais tâcher de monter que cette supposition n'est nullement contredite par l'état actuel de la science. Je dirai plus : l'hypothèse de l'atmosphère lunaire, si nettement indiquée déjà par la visibilité du contour de la Lune en dehors du Soleil longtemps avant ou après la totalité (1842, 1858), ne mérite pas l'abandon où elle a été laissée depuis que les esprits se sont tournés vers la supposition d'une atmosphère solaire qu'aucun phénomène ne me paraît légitimer. »

[H. Faye, 1860.Remarques sur l'hypothèse de l'atmosphère de la Lune, à l'occasion de la lecture précédente. CRAS,51, 445–448.]

Dans La Lune de Guillemin, on lit :

« La forme arrondie et tronquée des cornes du croissant lunaire, observée dans l'éclipse totale de Juillet 1860 par M. Laussedat, pourraît être autant de témoignages en faveur de l'existence d'une atmosphère. Mais il reste à savoir si ces phénomènes optiques ne sont pas susceptibles d'un autre genre d'explication. » (Chap. IV.)

 

Dans son Cours d'astronomie et de géodésie à l'École polytechnique (1862–1864), Aimé Laussedat conclut finalement à l'absence d'une atmosphère significative sur la Lune : « On voit par conséquent combien l'atmosphère de la Lune doit être faible comparée à l'atmosphère terrestre. »

 

Toujours dans De la Terre à la Lune, Michel Ardan poursuit :

« Nous ne connaissons qu'un côté du disque de la Lune, et s'il y a peu d'air sur la face qui nous regarde, il est possible qu'il y en ait beaucoup sur la face opposée.
– Et pour quelle raison ?
– Parce que la Lune, sous l'action de l'attraction terrestre, a pris la forme d'un oeuf que nous apercevons par le petit bout. De là cette conséquence due aux calculs de Hansen, que son centre de gravié est situé dans l'autre hémisphère. De là cette conclusion que toutes les masses d'air et d'eau ont dû être entraînées sur l'autre face de notre satellite aux premiers jours de sa création. »

 

Cette théorie de Peter Andreas Hansen (1795–1874), astronome allemand d'origine danoise, est également évoquée avec bienveillance par H. Faye (ibid.). Cependant, Badoureau l'ignorait (« Je n'ai jamais entendu parler du défaut de symétrie de la Lune par rapport à son plan de contour apparent » ; Le Titan moderne p. 62).

 

Les cratères lunaires : cratères volcaniques ou cratères d'impact ?

Pour Jules Verne et ses héros, il ne fait nul doute que les cratères lunaires sont d'origine volcanique :

 

[Le cratère Copernic] n’est qu’un volcan éteint, ainsi que tous ceux de cette face de la Lune. Sa circonvallation présentait un diamètre de vingt-deux lieues environ. La lunette y découvrait des traces de stratifications produites par les éruptions successives, et les environs paraissaient semés de débris volcaniques dont quelques-uns se montraient encore au dedans du cratère. (Autour de la Lune, Chap. XII.)

Un volcan ! c’est un volcan en activité ! s’écria Nicholl, un épanchement des feux intérieurs de la Lune ! Ce monde n’est donc pas encore tout à fait éteint. (Autour de la Lune, Chap. XV.)

 

La formation volcanique d'un cratère lunaire
selon James Nasmyth (
The Moon, 1874).


Cette hypothèse, déjà exposée dans la
Micrographia (1664) de Robert Hooke (1635–1703), était unanimement reconnue et a longtemps prévalu. On peut se référer aux travaux de l'ingénieur et astronome écossais James Nasmyth (1808–1890), exposés dans son ouvrage en collaboration avec J. Carpenter The Moon (1874), qui montre en outre de magnifiques vues d'artiste des paysages lunaires et de leurs cratères.

 

Ce n'est qu'après 1960 que l'hypothèse des cratères d'impact s'est finalement imposée. Seuls quelques irréductibles, tel Haroun Tazieff (1914–1998), croiront encore en l'origine volcanique de ces formations. Cependant, même en l'absence actuelle de volcans, le volcanisme a bien été présent sur la Lune, comme l'atteste l'existence de basalte parmi les roches lunaires. Et le volcanisme est un phénomène très répandu dans le Système solaire où, outre la Terre, on observe des volcans actifs ou récents sur Vénus, Mars, certains satellites de Jupiter et Saturne.

 

De l'eau sur la Lune ?

Les héros de Jules Verne découvrent de l'eau sur la Lune :

« A six heures du soir, le projectile passait au pôle sud, à moins de soixante kilomètres.
(...)
Ce sont des neiges ! s'écria-t-il.
– Des neiges ? répéta Nicholl.
– Oui, Nicholl, des neiges dont la surface est glacée profondément. Voyez comme elle réfléchit les rayons lumineux. Des laves refroidies ne donneraient pas une réflexion aussi intense. Il y a donc de l'eau, il y a donc de l'air sur la Lune. Si peu qu'on voudra, mais le fait ne peut plus être contesté ! »
(Autour de la Lune, Chap. XVII)

 

En l'absence de pression atmosphérique, l'eau ne peut pas exister sous forme liquide sur la Lune. De la glace exposée au Soleil disparaîtrait rapidement par sublimation (tout comme la glace des comètes qui s'approchent du Soleil). Mais on peut imaginer que de la glace soit présente dans le fond des cratères polaires, à l'abri des rayons solaires, ou dans le sous-sol.

 

De la Terre à la Lune, première version (c'est-à-dire, l'envoi d'un boulet sans passagers), a été récemment rejoué par la NASA avec la mission LCROSS (Lunar CRater Observation and Sensing Satellite). Un boulet de deux tonnes s'est écrasé à une vitesse de 2,5 km/s près du pôle sud de la Lune le 9 octobre 2009. À première vue, le résultat fut décevant, l'impact et son panache étant à peine discernables. Mais l'analyse spectroscopique ultérieure révélera une faible présence d'eau dans la matière éjectée par l'impact.

 

Les successeurs

   

Le thème du voyage dans la Lune a été repris par de nombreux auteurs après Jules Verne. Nous n'en mentionnerons que quelques-uns :

  • André Laurie (1888), Les Exilés de la Terre, ed. Hetzel, Paris. Un roman qui devait à l'origine être cosigné par Jules Verne ! (André Laurie était l'un des pseudonymes de Paschal Grousset.) [Voir nos notes à ce sujet.]

  • Pierre de Sélènes (1896), Un Monde inconnu. Deux ans sur la Lune, ed. Ernest Flammarion, Paris. Avec une dédicace à Jules Verne. (P. de Sélènes était le pseudonyme d'A. Bétolaud de La Drable.)

  • Fritz Lang (1929), La Femme sur la Lune (film allemand muet d'après un roman de Thea von Harbou, avec Hermann Oberth (1894–1989) comme consultant).

  • Vassili Zhuravlev (1935), Le Voyage cosmique (film soviétique muet avec Constantin Tsiolkovski (1857–1935) comme consultant).

  • Hergé, Objectif Lune (1953) et On a marché sur la Lune (1954) (bandes dessinées avec l'astronauticien Alexandre Ananoff (1910–1992) et l'astronome Armand Delsemme comme consultants).

     

    

 

Voir également De la Terre à la Lune à la scène et à l'écran.

 

Du canon...

Dès la parution de De la Terre à la Lune, Charles Habeneck a revendiqué la paternité de l'utilisation du canon pour un tel voyage.

« Il y a deux ans [en janvier-février 1864], dans un petit journal, Le Peuple, que vous avez peut-être connu, je publiai sous ce titre la légende du Soleil, un conte fantaisiste dans lequel un sultan quelconque, mécontent du soleil, cherchait à se venger en le condamnant à mort. L'exécution avait lieu grâce à un gigantesque boulet sorti d'un non moins gigantesque canon. Une commission scientifique y prenait place, tout comme dans le livre de M. Verne, et arrivait non pas dans la lune, mais dans le soleil. La description du canon, l'effet produit par la détonation se trouvent dans les deux récits. Si bien que la date de publiction de ma légende (1863) m'a seule rassuré sur toute idée d'imitation.
Je ne crois pas que M. Verne se soit inspiré de ma légende ; mais je ne veux pas, si je publie plus tard ce petit conte, être accusé d'avoir copié M. Verne. »
(Charles Habeneck,Le Petit Journal, 20 novembre 1865.)

Charles Habeneck (1836–1879) a été journaliste, écrivain, sous-préfet (de Brioude, puis de Carpentras – révoqué en 1878 pour anticléricalisme !). Il fut directeur et rédacteur de l'éphémère journal Le Peuple, un petit quotidien du soir qui parut à Paris de 1863 à 1864.

Mais déjà, en 1728, dans A Trip to the Moon, Murtagh McDermot utilisait un canon pour revenir de la Lune à la Terre.

 

...à la fusée

La même année que De la Terre à la Lune est paru le Voyage à Vénus d'Achille Eyraud, la première description d'un voyage interplanétaire avec une vraie fusée. Voir nos notes à ce sujet. Auparavent, si Cyrano de Bergerac mentionnait la fusée dès 1657, il ne la retenait pas comme mode de locomotion. Jules Verne embarque bien des fusées dans l'obus de ses romans lunaires, mais ce ne sont que des accessoires destinés à effectuer des corrections de trajectoire et non le mode de propulsion principal.

 

Charles Nordmann (1881–1940), un astronome français, a montré dans un article de vulgarisation (Comment s'évader de la Terre ?, 1928, Les Annales politiques et littéraires, No 2314, 85–86) que les voyages interplanétaires étaient impossibles à réaliser avec des fusées. Sa démonstration est irréprochable... mais il n'a simplement pas songé à l'utilisation de fusées à plusieurs étages.

 

La conception des fusées à plusieurs étages n'est arrivée qu'avec les travaux théoriques de Constantin Tsiolkovski et de Hermann Oberth. Parmi les œuvres citées ci-dessus, si les Tintin d'Hergé n'utilisent pas cette technique (mais une hypothétique propulsion atomique), les films La Femme sur la Lune et Le Voyage cosmique, qui ont bénéficié des conseils respectifs d'Oberth et de Tsiolkovski, mettent en scène des fusées à deux étages.

 

 

Source : dossier transcrit intégralement à partir de : http://www.lesia.obspm.fr/perso/jacques-crovisier/JV/verne_TLAL.html

 



19/06/2017
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